Ma fille a un pénis

Bon, eh bien j’ai l’impression qu’il est temps de blogguer sur tout ça maintenant. 

Je commence par où? 

Il y a à peine cinq ans je venais d’avoir mon premier (et unique) enfant. Un garçon ! Les garçons vénèrent leur maman n’est-ce pas ? Ce sera un garçon hip, un féministe tout comme son père féru de légos, d’arts  martiaux et de science-fiction mais qui savait également cuisiner. Et puis, j’échapperais aux ridicules  panoplies Disney et autres robes de princesse. 

Mon fils avait à peine trois ans quand il m’a fait comprendre que j’avais tout faux. Etais-je donc bien bête :  je m’étais fourvoyée comme tant d’autres à cause de toute cette histoire de pénis/vulve. Mon enfant allait  balayer toutes ces croyances : 

« Maman, je crois que y a quelque chose qui a pas marché quand j’étais dans ton ventre parce que en vrai  j’étais une fille sauf que je suis née en garçon à la place ». Il voulait que je le remette dans mon ventre pour  corriger l’erreur. Il était en larmes. 

Avez-vous déjà été submergés par l’émotion au point de ressentir un malaise physique ? Celui qui vous  envahit quand vous savez que quelque chose cloche chez votre enfant ? Comme si vos entrailles se  rétractaient, comme si vous sentiez vos poumons se vider entièrement. 

Ce jour-là cette sensation m’a mise littéralement à genoux. Je me suis retrouvée par terre nez-à-nez avec mon enfant. Je l’ai pris dans mes bras pour le serrer contre moi. « Il n’y a rien qui cloche chez toi » lui dis je, en espérant que ce soit vrai. « Rien, tu peux être une fille ! Bien sûr que tu le peux ! » Mais est-ce que  c’était possible ? 

Et je me disais en moi-même « Oh mon dieu, mon dieu, mais qu’est-ce que je vais-je faire et comment on va  s’en sortir? » 

Deux ans riches en rebondissements se sont écoulés depuis. Son père et moi nous sommes séparés (cet  événement quoique significatif est sans rapport avec la transidentité de notre enfant). J’ai trouvé de l’aide auprès d’une psychologue spécialiste des enfants au genre non conforme. J’ai rejoint un groupe de soutien  pour les parents d’enfants comme le mien. J’ai tissé des liens d’amitié avec de jeunes enfants et des adultes  transgenres et au genre atypique. J’ai lu, j’ai visionné des vidéos, je me suis interrogée, je me suis  beaucoup inquiétée, et je me suis beaucoup remise en question. Beaucoup.

La première année, j’ai tâtonné, j’ai laissé mon enfant se faire pousser les cheveux et porter des robes tous  les jours tout en faisant marche arrière lorsqu’elle me demandait à changer de prénom et de pronoms. J’ai  insisté lourdement pour lui présenter des alternatives : je lui ai acheté un joli T-shirt avec écrit « Boys can  wear pink », j’ai surfé sur internet avec elle pour lui montrer ces peintures médiévales dans lesquelles les  seigneurs portent des collants et sont couverts de dentelles. Je lui ai expliqué que le rose avait était considéré comme une couleur de garçon jusqu’à très très récemment, tandis que le bleu (véridique !), était  réservé aux filles. Je lui ai acheté le dernier album jeunesse à la mode « My Princess Boy », l’histoire d’un  petit garçon qui aime les « trucs de fille » mais qui conserve l’amour de ses parents malgré tout. Je me suis  sacrément démenée. Mais rien n’y faisait : cet enfant ne pliait pas. 

J’ai enfin lâché l’affaire quand j’ai compris que j’étais bien la seule à m’accrocher encore à l’idée que j’avais  un petit garçon. Quand j’ai réalisé que tout le monde, grands-parents, voisins, institutrices, nos amis, son  père, toutes et tous l’avaient accueillie à bras ouverts dans le monde des filles et que j’étais la seule à  m’entêter. J’ai compris à quel point mon attitude avait pu représenter une trahison pour elle. Que sa  maman, la personne censée être sa meilleure alliée et son plus grand soutien ne l’avait pas suivie. C’est  ainsi que j’ai dit aurevoir à mon petit garçon. A l’époque j’en ai beaucoup souffert, j’ai vécu une période de  deuil. Mon petit garçon me manquait. Je ne sais pas trop pourquoi. Elle venait tout juste de quitter la petite  enfance, elle n’avait donc jamais vraiment été un garçon, si ce n’est que comme pur produit de mon  imagination. Et pourtant, c’est bien la perte de cet création de mon esprit dont je faisais le deuil. Il semble  que ce soit une étape d’un processus largement partagée par les parents d’enfants trans : nous faisons le  deuil d’un garçon ou d’une fille qui est parti.e mais qui est toujours là, d’une autre manière. 

Le processus de deuil est terminé pour moi. M, mon enfant, vit maintenant à plein temps en tant que fille  (elle se qualifie elle-même de « fille avec un pénis »), c’est une petite fille heureuse et qui a confiance en  elle. A part quand elle est toute nue, personne ne peut se douter qu’elle possède ce que mon père appelle « un service trois pièces ». 

En ce moment je lis tous les articles, les blogs, les témoignages, tout ce qui me passe sous la main et qui  concerne la transidentité. Tout ce qui peut m’aider à comprendre ce qui peut bien se passer dans la tête de  mon jeune enfant, tout ce qui peut m’aider à assurer sa sécurité et à anticiper l’avenir, émotionnellement,  socialement, et dans son suivi médical. J’ai beaucoup appris sur la notion de genre mais je sais que j’en ai  encore beaucoup à apprendre. Lorsque l’ignorance des gens m’énerve (non, mon enfant n’a pas eu de  chirurgie de réassignation sexuelle. Elle a cinq ans !) j’essaie de me souvenir qu’il y a deux ans j’étais aussi  ignorante qu’eux. 

Aujourd’hui je sais que les personnes transgenre peuvent mener une vie heureuse (même si ce n’est pas  toujours simple) pourvu qu’elles reçoivent le soutien et l’amour de leur famille. Quant à toi, M, je te  soutiendrai toujours. 

Même si j’ai toujours très peur pour toi.

(Traduction : Sophie Alex) 

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